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George Lucas sur le tournage
de «Star Wars, Episode I». Dans un mois, le réalisateur américain utilisera
la caméra numérique haute définition de Sony pour l’«Episode II».
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Star française des trucages
numériques, Jean-Christophe Comar, alias Pitof, devient réalisateur et essuie
les plâtres du premier tournage 100 % haute définition numérique. Le premier
clap de son Vidocq, avec Gérard Depardieu dans le rôle-titre, a été donné
cette semaine, un mois à peine avant qu’outre-Atlantique, George Lucas
entame, avec le même procédé, son Episode II de Star Wars. L’un et l’autre
font figure de pionniers: après Wim Wenders qui a tourné un clip pour le
groupe U2, ils sont les premiers à utiliser, pour un long métrage, la caméra
numérique haute définition HDW-F900 conçue par Sony. Le nouveau bijou du
géant nippon, adapté par Panavision pour le tournage film, est une caméra
vidéo professionnelle qui peut se substituer entièrement à la classique
caméra film (35 mm). Comme l’explique Pitof, «sauf accident, nous ne
tournerons pas un mètre de pellicule». Basée sur la technique dite 24P (pour
24 images/seconde progressif, qui s’oppose à l’image à trames entrelacées de
la vidéo traditionnelle), l’image enregistrée est une mosaïque de 2 millions
de pixels (contre environ 500 000 sur notre poste de télévision), un format
universel compatible avec le cinéma et la télévision.
Tests comparatifs. La mise à l’épreuve de cette caméra a été
orchestrée par Lucas lui-même, avec le concours de Sony, au cours du premier
trimestre 2000: une série de plans comparatifs (en extérieur et en studio,
gros plans et grands angles, plans sur fond bleu, etc.), filmés simultanément
en numérique et en traditionnel sur pellicule. Repiquées sur film 35 mm, les
deux bandes tests ont ensuite été projetées au Skywalker Ranch, sanctuaire du
réalisateur de la Guerre des étoiles qui a déclaré: «Les tests m’ont
convaincu que le rendu et la sensation de l’image cinématographique sont
totalement présents dans le système 24P numérique et que la qualité entre les
deux supports est indiscernable sur grand écran.»
Virtuose en France des effets spéciaux sur ordinateur (la Cité des enfants
perdus et Aliens 4 de Jeunet, Astérix et Obélix de Zidi), un homme aussi
averti que Pitof ne pouvait manquer une telle occasion. Aucune exclusivité ne
liant Sony (avec qui Pitof entretient depuis longtemps des relations très
amicales) à Lucas, la voie était libre. Pitof aura ainsi «droit» à trois
caméras HDW-F900 pour son propre film. Même si, ironise-t-il, «quand Lucas
communique avec ça, ça fait évidemment beaucoup plus de bruit que moi».
Idem. Si on l’interroge sur ce que cela va changer dans les conditions de
tournage, il lâche un laconique: «dans un premier temps pas, grand-chose!».
De fait, même entièrement réalisé en numérique, le tournage reste
traditionnel: la caméra est volumineuse (5 à 6 kg), et les techniciens
habituels occupent le plateau. Idem pour les coûts de production: le budget
de Vidocq tourne autour de 160 millions de francs (Vatel a coûté 220 millions
de francs), la seule économie intervenant dans l’absence de pellicule et de
frais de développement. Et, comme Panavision a ajouté au Caméscope d’origine
tous les ingrédients nécessaires (adaptation de ses optiques Primo Digital,
viseur, pare-soleil, bague de mise au point, prises diverses, etc.), «il peut
s’intégrer sur un tournage sans que 80 % de l’équipe s’en rende compte»,
explique Pitof.
Grâce à sa sensibilité, la Sony HD «encaisse plutôt mieux les basses lumières
que le film» (atout précieux qui permet un moindre éclairage); elle réagit en
revanche «moins bien que le film pour les grandes différences de contraste».
Inconvénient que le chef opérateur Jean-Pierre Sauvaire (clips de Mylène
Farmer, Giorgino de Laurent Boutonnat, Taxi de Gérard Pires, Scènes de crimes
de Frédéric Schoendoerffer), va devoir contourner en atténuant ici des zones
surexposées, débouchant là des ombres trop denses. Si l’on en croit le
réalisateur, les premiers essais sont néanmoins encourageants: «Après avoir
éclairé un personnage uniquement par une bougie, ce qu’on a obtenu au niveau
du modelé et des détails est assez étonnant.» Pitof sur les traces de Kubrick
et de l’étonnante photo de John Alcott dans Barry Lyndon? Modeste, le
réalisateur de Vidocq assure que «c’est le sujet qui veut ça: à partir du
moment où l’on veut reconstituer une époque où l’électricité n’existait pas,
on cherche à retrouver visuellement ce qu’on a vraiment avec des bougies,
sans avoir à créer des “effets de bougies”. Sur ce plan, en effet, on se
rapproche de ce qu’a fait Kubrick dans des conditions alors très différentes
(qui datent de 1975), sans non plus charger avec des effets supplémentaires
qui dénaturent la qualité de la lumière réelle. Cette caméra, très sensible,
peut donc nous aider dans cette tâche-là».
Images immédiates. L’autre avantage de la HD est de pouvoir, sur le
lieu et au moment mêmes du tournage (sans attendre les rushes), visionner
l’image sur un écran haute définition de référence, telle qu’elle sera juste
avant la postproduction. Rien à voir avec le moniteur vidéo de plateau
actuellement utilisé par les réalisateurs, «témoin uniquement pour le cadre
et pour la comédie, mais sur lequel on n’a pas la qualité photographique de
l’image», précise Pitof qui ajoute: «Cela permet de prendre des décisions sur
le tournage pour tel ou tel effet. Pour l’opérateur, les risques sont
beaucoup plus calculés que quand il le fait directement à la cellule.»
Après le tournage, le fait que le film soit d’emblée dans un format numérique
présente d’autres intérêts: montage virtuel, trucages, reports divers sans
perte de qualité, etc. Parmi tous ces post-traitements, l’étalonnage, étape
d’équilibrage des intensités de lumière et des couleurs d’un plan sur l’autre
qui, traditionnellement sur la filière film, nécessite une intervention
chimique au moment du développement et du tirage des copies.
«En film, les possibilités de manipuler l’image sont relativement réduites:
on ne peut pas trop jouer sur la texture de l’image ni sur les contrastes;
alors qu’en numérique, c’est possible à tout moment, et dans des proportions
assez fortes», ajoute Pitof qui compte utiliser pour cela le système
informatique Duboicolor mis au point par Duboi (société de postproduction
numérique dont il est l’un des fondateurs). Ce système permet d’étalonner les
images montées sur un écran de format cinéma (avec une projection numérique)
et non pas sur un écran de télévision.
S’il baigne dans une réelle excitation, le réalisateur de Vidocq sait aussi
que tourner un film à 100 % numérique ne sera pas de tout repos et qu’on
l’attend au tournant. «Chaque étape devra de toute façon être soignée pour
obtenir le meilleur résultat possible», se rassure-t-il. Manière de garder la
tête froide.
Demain, dernier volet de notre enquête: Coppola, le visionnaire.
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